1/C Témoignages…
… TÉMOIGNAGES… Vous avez dit migraine ophtalmique ?
Cela fait quatre ans que je travaille exclusivement sur ordinateur, à un rythme plutôt soutenu. Je viens de finir un film difficile, stressant, où les dernières journées ont été longues. Bref je ne suis pas au mieux de ma forme pour aborder un nouveau boulot mais il n’est pas facile de prévoir les conditions de travail. Là, il s’agit d’un petit sujet de magazine de 10 minutes, et j’ai trois jours pour le faire, dérushage compris, ce qui n’est pas forcément “à l’aise “.
Je ne dispose pas de tous les éléments (les banc-titres arriveront au fur et à mesure et il y aura une recherche de musique à faire, avec digitalisation et calage au dernier moment). Je travaille avec trois écrans (deux écrans informatique et un écran vidéo), disposés sur le même plan et assez près de moi.
Le réalisateur arrive en retard les deux premiers matins. Il me semble démobilisé. Son Fils est “en stage ” dans la salle de montage. Je m’aperçois très vite qu’on aura du mal à rester dans les temps. Je pense à tout ce qu’il restera à faire une fois le montage accepté et notamment les sons. Je me dis que je finirai très tard le dernier soir. et comme je suis payée au forfait, c’est injuste. Bref je commence à stresser sérieusement.
Le troisième et dernier jour vers midi, je ressens des flashes violents dans les yeux, des “éclairs. ” Ma tête vibre. A ce moment précis, je me dis que ” )e pète les plombs “. Même les yeux fermés, ça continue, 20 secondes en tout peut-être. Lorsque ça s’arrête je suis abrutie et j’ai du mal à expliquer ce qui s’est passé. Dans l’après-midi, la migraine et la nausée s’installent. Je ne fais pas le rapprochement et je me dis que j’ai mal digéré. C’est dans un état lamentable que je finirai ce montage.
Lorsque je vois le médecin du travail, il m’annonce une migraine ophtalmique, précisant que je devais avoir les yeux très fatigués pour ressentir une telle violence. J’ai des examens plus poussés : fond d’œil, électroencéphalogramme, IRM du cerveau. Tout est normal. On me parle alors d’accident vasodilatateur qui serait dû au stress ajouté à une fatigue visuelle générale.
Je prends peur et reste un mois sans travailler. Lorsque je reprends le chemin d’une salle de montage sur ordinateur, j’appréhende la proximité des écrans. Je recule tout particulièrement l’écran vidéo sur les conseils du médecin car le balayage à 50 Hertz est très mauvais pour les yeux à petite distance. Ça m’a servi de leçon et je suis désormais très attentive à la disposition de la salle – distance, reflets, éclairage, etc – afin de commencer sereinement un montage. J’essaie aussi de faire des pauses ” actives ” au cours de la journée : sortir de la salle, marcher un peu, respirer, m’aérer, ne plus me laisser hypnotiser par les écrans : ça aide à réfléchir.
Enfin et c’est très important, je refuse de faire des journées de plus de 8 heures d’une manière systématique.
Je me dis que je n’ai pas le choix si je veux conserver la santé.
Je revendique le droit à une vie privée ,normale et ma vie ne s’arrête pas lorsque je travaille.
Au contraire, il faut du temps pour se ressourcer et pouvoir continuer un travail de création.
J’ai choisi ce métier par passion.
Je ne veux pas en être victime.
UN CLIC DE TROP !
Ce qui m’est arrivé de pire ? Des crampes douloureuses qui m’ont immobilisé la main droite pendant le travail. C’est le syndrome dit de la souris !
La première fois, c’était pendant le montage d’un documentaire, un 52 minutes. Nous avions obtenu seulement quatre semaines pour tout terminer sur l’ordinateur , et je faisais de très longues journées de travail. À la fin de la dernière semaine, on avait travaillé 14 et même16 heures pour le montage son.
Et puis, c’est arrivé. La crampe. D’abord, je ne voulais pas y croire, mais petit à petit, ma main droite s’est crispée sur la souris jusqu’à ce que je ne puisse plus du tout la bouger. C’était l’horreur. Le réalisateur m’a proposé de nous arrêter, mais nous avions le lendemain une projection avec C+ , et les dates de finitions étaient calées. J’ai donc travaillé toute la journée et une partie de la nuit avec la main gauche. Et bien sûr beaucoup plus lentement Le lendemain, je pouvais de nouveau bouger ma main, mais j’avais fini le montage. J’ai senti une raideur dans ma main pendant trois bonnes semaines et je n’avais plus de force pour tenir les objets. Cela s’appelle une tendinite m’a-t-on dit.
Une autre fois, j’ai monté en trois jours un film que j’aurais dû faire en deux semaines. Nuits et jours de nouveau. C’était en octobre, et il faisait très chaud dans la salle pour la saison, l’été indien. Les disques durs étaient posés à côté de moi et réchauffaient l’atmosphère. J’avais les yeux secs, qui me grattaient, et je mettais souvent des gouttes salées achetées en pharmacie pour les humidifier. Mes oreilles bourdonnaient à cause du bruit de la soufflerie des disques. On travaillait sans arrêt… Et la crampe est revenue. Même scénario ! Cette fois j’ai senti la raideur dans ma main pendant un mois et demi.
Je suis, il est vrai, sujette aux crampes ; j’en ai souvent aux jambes, mais elles durent moins longtemps. Pour la main, je suppose que c’est le résultat de la crispation de tout le bras tendu sur la souris et la répétition de ces petits gestes minuscules des doigts.
On m’a conseillé du magnésium et de la vitamine B, et un stage professionnel de perfectionnement que j’ai eu énormément de mal à obtenir pour apprendre à moins travailler avec la souris et plus avec le clavier de l’ordinateur (ainsi tous les doigts bougent)
Devinette : combien de clics de souris fait-on dans une journée de montage de 16 heures ?
JOJO ET LE BRUIT !
J’ai monté pour la première fois un long métrage cet hiver. Long métrage modeste et à petit budget, mais j’étais ravie. La production nous a installé dans les superbes locaux d’un prestataire à la Bastille. Magnifique salle de 20m 2 avec fenêtres style atelier d ’artiste donnant sur une jolie cour pavée, belle décoration intérieur. J’étais enchantée.
Dans ma salle, l’ordinateur de montage se trouvait simplement posé sur une table et les disques durs à même le sol n’étaient pas enfermés dans un nodal ou une cabine. Pour pouvoir numériser mes 12 heures de rushes, j’avais 45 gigas et surtout un très gros disque de 23 gigas (les autres disques étant de 9 gigas). Petit à petit, le bruit de la soufflerie des disques m’est devenu insupportable et surtout celui de 23 gigas, spécialement bruyant. C’est un son insidieux dont on n’a souvent pas conscience, mais pour moi, pendant le travail, cela devenait une obsession, je n’entendais plus que ça Et quand je rentrais chez moi le soir, je retrouvais mon mari ou mon fils devant notre ordinateur familial assez puissant et qui fait, lui aussi, pas mal de bruit pour un ordinateur de salon. J’ai cru que je devenais folle.
Evidemment, ma famille ne comprenait absolument pas mon allergie à cette soufflerie, et dans la société de prestation, à force de me plaindre, j’ai obtenu que les techniciens achètent une armoire qu’ils ont bourrée d’isolant phonique pour enfermer les disques. Le bruit a quand même diminué de 50 à 60%. Mais je ne comprends pas, par exemple, les monteurs son sur ordinateur qui supportent sans broncher la présence des disques et du béta en permanence dans la salle, sans protection.
Personnellement, pour monter les silences de mes directs, j’ai mis un casque, parce que même avec l’armoire, le son des disques m’a tout le temps agressée et empêchée de travailler correctement. Les gens sont quand même “barjos ” ! Ils ne se plaignent jamais. Avant nous, dans cette superbe salle, il y avait le montage d’un long-métrage prestigieux. L’équipe ne s’est jamais plainte du bruit. Les gens ne râlent pas et on m’a bien fait remarquer d’ailleurs qu’il n’y avait que moi qui rouspétait. J’ai essayé de parler avec cette équipe prestigieuse . L’histoire du bruit ne les a même pas effleurés. Est-ce la peur de réclamer, et de créer un conflit ?
Est-ce la peur du chômage qui bouche nos oreilles inconsciemment ? Je ne sais pas. Je crois que c’est plus que ça. On ne s’écoute plus, on ne pense plus à s’écouter.
……………Chut ! Écoutez !
Avez – vous remarqué ? Les machines se sont tues. Il est tard, la nuit est déjà profonde, et comme tant de fois, seule dans la salle de montage, je plie bagages, heureuse à l’idée de rejoindre mon lit.
Mais je prends toujours un temps pour apprécier, goûter le silence qui enfin libère ma tête et me donne le vertige, la libère de cet incessant bourdonnement des machines qui agressent mes neurones, mes nerfs, mes pensées tout au long de la journée.
De retour chez moi, cette sensation de légèreté que j’avais éprouvée a disparu, j’ai l’impression de vrombir, toute l’énergie dépensée m’a vidée et semble avoir été remplacée par une charge d’électricité statique, je suis comme une pile, je clignote : les yeux les oreilles, les mains, tout.
Vite, une longue douche pour apaiser tout ça ; demain c’est promis, je vais m’aérer…
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