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MANIFESTE 02 – La part du montage, la place du monteur dans la fabrication d’un film

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La part du montage, la place du monteur dans la fabrication d’un film

Transcription des débats

Anita Perez, chef monteuse
– Bonsoir et bienvenue à tous.Ce débat s’inscrit dans la Semaine du Montage, initiative que nous avons eue envie d’organiser pour parler et faire parler du montage, notre métier.

Un métier que nous aimons faire parce que notre pratique professionnelle est sans cesse renouvelée, questionnée, confrontée à une pensée autre, puisque chaque film est une nouvelle aventure, chaque film est un objet singulier.
– Pourquoi ce débat : “La part du montage, la place du monteur dans le processus de fabrication des films” ? Parce que le montage est la dernière phase de travail durant laquelle le film émerge tel qu’il va être donné à voir aux spectateurs et aux téléspectateurs.
– Tous les collaborateurs, tous les techniciens accompagnent le réalisateur dans cette fabrication mais pendant le tournage, surtout en fiction, l’équipe est composée de plusieurs personnes.

Il y a le chef opérateur, le cadreur, l’ingénieur du son, la scripte etc. Le réalisateur a donc dans cette phase plusieurs interlocuteurs, plusieurs partenaires.

Quand la période du montage arrive, le réalisateur se retrouve avec un seul interlocuteur : le chef monteur.
– Le montage est un travail qui se déroule dans un huis-clos, dans l’ombre. C’est la relation de trois personnages : le réalisateur, le monteur et le film en devenir.

La nature de cette relation est difficile à dévoiler, elle est intime, secrète et évolue au cours du temps du “travail”.
– Le montage est le retour à la réalité. Le réalisateur a longtemps porté, imaginé son film avant et pendant la mise à l’épreuve du ” filmage “, du tournage.

Puis l’imaginaire et la pensée ont trouvé un support : les images et les sons existent. Le monteur va confronter cette matière au film rêvé par le réalisateur.

Le monteur est donc celui qui dévoile ce que portent les rushes. Le réalisateur va devoir accepter, endosser le résultat de ce travail, le film qui s’impose.

Le monteur devient le passeur entre le réalisateur et son film. Le travail du montage est comme une traversée ensemble, réalisateur et monteur, avec les détours, les doutes mais au bout il y a l’obligation d’accoster.
– C’est donc la dernière étape et elle ne se joue qu’à deux. Ce double paramètre induit que les tensions inhérentes à tout travail de création sont particulièrement fortes.
– Alors, la part du montage, la place du monteur, c’est un vaste programme. Ce débat ce soir n’a pas vocation d’apporter une réponse mais d’amorcer un questionnement, parce que nous ressentons tous le besoin de redéfinir, redessiner notre métier. Bien évidemment, chacun d’entre nous réfléchit et pense son métier, nous en parlons entre amis, mais ce soir, les analyses, les réflexions, les sentiments de chacun vont s’exprimer dans un cadre collectif.
– Pour ce débat, nous avons pensé important que des témoins soient là. Ces témoins n’appartiennent pas à notre monde professionnel. Ils sont là pour entendre nos paroles, y réagir et resituer dans le champ de leur pratique ce qu’ils entendent. Il s’agit de Jacques Blociszewski, responsable de recherches,qui jouera également le rôle du modérateur dans ce débat, Dominique Le Vaguerèse, psychanalyste, et Gérard Mauger,r directeur de recherches au CNRS, sociologue.

Jacques Blociszewski Mon rôle sera modeste ce soir. Je crois que c’est un sujet sur lequel vous avez énormément de choses à dire, et qui me semble foisonnant, complexe, passionnant, avec certainement beaucoup d’enjeux. J’espère qu’ensemble nous aurons l’occasion d’explorer ce domaine que vous connaissez bien, et qu’en ce qui me concerne je connais beaucoup moins… Je m’intéresse depuis longtemps à l’image mais ne connais pas grand-chose au montage proprement dit. Je vais donc jouer le rôle du candide, en essayant de poser des questions qui nourriront le débat. Pour me présenter, en quelques mots : je suis responsable de recherche dans une société du domaine culturel, mais c’est à titre personnel que j’ai été contacté par Anita pour intervenir ce soir. Je me suis toujours intéressé au cinéma, à la télévision, au sport. Et un jour, tout cela s’est rencontré… J’ai d’abord écrit des textes sur le zapping, sur ce flot d’images fragmentées, démultipliées, auquel on assiste aujourd’hui. Par ailleurs, j’avais déjà publié un texte critique sur la publicité dans Le Monde Diplomatique, et Ignacio Ramonet m’a ensuite demandé si je voulais m’essayer à quelque chose sur le football à la télévision. Depuis, je cultive ardemment le football et j’ai eu l’occasion de faire plusieurs textes sur la façon dont le regard de la télévision transforme les matches. J’ai ainsi été amené à une série de réflexions sur le rôle de la réalisation, la façon d’utiliser les ralentis, de faire un certain nombre de choix qui ne sont jamais neutres. Cela m’a valu des rencontres assez passionnantes, et d’intervenir par exemple au Centre de l’équipe de France de football à Clairefontaine, à l’Ecole de journalisme de Lille, à l’Ecole Supérieure des Télécommunications ou à l’Institut national du sport. Le sport (surtout le football) est pour l’audiovisuel un domaine d’une importance considérable, en raison notamment des enjeux énormes que représentent les droits de retransmission. C’est aussi une très bonne école du regard, si on observe ce qui se passe et quel est au juste le rôle de la réalisation (et du commentaire…). Cela provoque aussi une forme de frustration. Beaucoup de choses en effet m’agacent dans la façon actuelle de filmer le foot et je me demande souvent : “ Là, qu’est-ce que j’aurais aimé voir ? Qu’est-ce qui manque ? Qu’est-ce qui relève ou non de la manipulation, de l’idéologie techniciste ? Que devient le jeu lui-même ? etc.” Et ce genre d’interrogations rejoint, me semble-t-il, la problématique du montage. C’est en tout cas ce que m’ont paru confirmer les textes de préparation à ce débat. J’y ai lu des questionnements passionnants, très riches, où on relève par exemple des mots comme huis-clos, ombre, traversée, tension, réécriture d’une histoire, retour à la réalité, le premier spectateur, le témoin, le pouvoir, le couple, la frustration, donner un sens, aider les images, les 3 sujets dans la salle : le réalisateur, le monteur et le film… J’ai tenté, à partir de là, d’établir une liste de questions très informelles. La relation entre le réalisateur et le monteur apparaît tout à fait centrale, certainement pas exclusive, mais très importante. Peut-être pourrions-nous partir sur cette piste, situer les différents personnages qui interviennent dans le montage, puis passer à la collaboration pour ce qui va être la naissance, la création d’un film.

Gérard Mauger Je suis le sociologue de service auquel Anita a demandé de venir. Sociologue, je m’intéresse un peu à tout, au monde social en général, au cinéma pas spécialement, pas plus qu’un spectateur ordinaire. Alors, quelle sorte d’intérêt puis-je avoir pour ce débat ? Pourquoi ai-je répondu à cette invitation à y participer ? En fait, les mondes des arts m’intéressent, ce sont des univers professionnels dotés de propriétés particulières qui me semblent pouvoir avoir un grand intérêt pour la sociologie. Je m’y intéresse depuis quelques années sous un angle particulier : la question du droit d’entrée. Les univers artistiques peuvent être définis par l’indéfinition du droit d’entrée. Qu’est-ce qu’être écrivain ? Qu’est-ce qu’être médecin, cela ne pose pas de problème, il faut avoir le diplôme, on met sa plaque sur sa porte, on est médecin, personne ne viendra dire le contraire. Devenir écrivain, peintre, musicien, c’est autrement plus compliqué. Les phénomènes de consécration, les phénomènes d’habilitation sont tout à fait complexes. Ce sont ces phénomènes auxquels je m’intéresse. Mais, au fond, ce n’est pas vraiment la raison de mon intérêt pour les problèmes du montage. Il me semble en fait que ce métier de l’ombre ou de la coulisse – pour employer un mot du spectacle – a beaucoup de parenté ou d’homologie avec le métier de sociologue, en tout cas quand le métier de sociologue se rapproche de l’ethnographie. Après tout, un sociologue ou un ethnologue, que fait-il d’autre que conserver des images, des plans, regarder, observer, prendre des notes, écouter, enregistrer et revenir dans son bureau avec ce qu’il appelle “son matériel” ? On pourrait appeler ça “les rushes” de l’ethnographe. Après, il faut qu’il monte. D’une certaine façon, il a à monter et à construire ce qu’il a recueilli – ou plutôt produit – pour en faire un texte. Pour ce faire, il rencontre un ensemble de problèmes qui me semblent très proches de ceux qui se posent pour les monteurs – ou plutôt les monteuses puisqu’il s’agit plutôt d’une profession féminine autant que j’ai pu le constater. Il faut bâtir un récit, une intrigue : intrigue au sens romanesque du terme quand il s’agit de fiction ou intrigue au sens problématique, scientifique et/ou politique. En clair, il s’agit de poser une question et de tenter de lui trouver une réponse. Il faut saisir un fil qui permette de construire, d’une façon ou d’une autre, un récit fictionnel ou réaliste, avec tous les problèmes posés par ce partage entre documentaire et fiction. Rien n’est simple en la matière. Voilà une des raisons de mon intérêt pour le débat de ce soir : l’homologie entre certains aspects du métier de sociologue et certains aspects de ce que je crois être votre métier.

Dominique Le Vaguerèse Par les hasards du casting, je suis là en place de psychanalyste. En ce qui me concerne, je me contenterai essentiellement d’écouter ce qui sera dit, pour changer… La psychanalyse et le cinéma sont nés à peu près à la même époque, j’appartiens à une génération qui s’est beaucoup intéressée et a été formée par les films qui étaient empreints de la théorie psychanalytique – enfin, pour certains en tout cas, je pense à Hitchcok, Antonioni, et bien d’autres – j’ai été formée également par les films politiques. Donc, j’attends peut-être de ce débat entre nous ce soir, l’état des lieux actuels sur les rapports qui existent entre le cinéma, la psychanalyse et la politique. Mais, dans ma pratique, j’ai surtout travaillé et je continue à travailler sur les questions de psychosomatique, de comportements violents et de crimes. Voyez que c’est assez loin, quand même de la problématique de ce soir…(rires). Encore que…

Jacques Blociszewski Ce qui importe maintenant, c’est sans doute de repartir de la formulation même du thème de ce débat. Les mots ont leur importance, plus que jamais : ” la part du montage et la place du monteur dans la fabrication d’un film “. Est-ce que quelqu’un souhaite intervenir pour lancer le débat, pour poser ces bases nécessaires ? Comment naît la collaboration réalisateur / monteur ? Comment s’établit le “couple” ? Quel est le niveau des contraintes de départ ? Comment les réduire, les éviter, faire avec ? Par exemple comment un réalisateur et un monteur sont-ils appelés à travailler ensemble ?

Lise Beaulieu, chef monteuse Je dirais qu’il y a des mariages de raison et des mariages d’amour. Il fut un temps où les réalisateurs choisissaient leurs monteurs et où les monteurs choisissaient leurs réalisateurs. Mais je crois que la situation du travail fait qu’actuellement cette liberté de choix est de plus en plus rare. Moi je suis une “vieille” monteuse donc j’arrive encore à choisir et à être choisie mais je crois que quand on est jeune, c’est beaucoup plus compliqué. Il y a beaucoup plus de mariages de raison, donc parfois on n’est pas loin de la violence…

Jacques Blociszewski Sur la notion de mariage de raison, quelqu’un a-t-il un commentaire à faire ? Et sur les notions de contrainte ? Ce ne sont pas les contraintes qui doivent manquer dans ce travail. En dehors de la rencontre et du choix – si choix il y a – comment s’opère la rencontre entre le réalisateur et le monteur ?

Vera Memmi, chef monteuse Justement j’ai envie de donner un exemple sur le mariage de raison. Le paterfamilias, c’est-à-dire le producteur, va faire se rencontrer monteur et réalisateur, monteuse et réalisatrice, monteur et réalisatrice ou monteuse et réalisateur. Cela peut donc être des couples de plusieurs types. Le mariage d’amour se fait différemment parce que la rencontre se fait différemment. Un mariage d’amour, souvent cela veut dire qu’on retravaille ensemble. Ceci dit, quelquefois les mariages de raison se transforment en mariages d’amour.

Chantal Piquet, chef monteuse Une chose relativement récente dans le choix des monteurs, c’est le casting. C’est-à-dire que maintenant on peut être convoqué à un casting de monteurs et être reçu par des gens qui ne connaissent ni les films qu’on a montés, ni les personnes avec lesquelles on a travaillé, ni les productions avec qui on a collaboré. Et de plus, on n’est pas forcément reçu par le réalisateur lui-même… Cette pratique existe depuis quelques années. On ne la connaissait absolument pas auparavant.

Jacques Blociszewski Comment cela se passait-il avant ?

Chantal Piquet On nous appelait directement. Un réalisateur avait vu des films qu’on avait montés ou il avait parlé avec un autre réalisateur ou avec un autre monteur qui n’était pas libre et qui lui avait dit : “ce serait peut-être possible de travailler avec untel ou untel”. On ne nous demandait pas notre CV. Il y avait simplement une discussion, il y avait une confiance, donc ça n’a rien à voir, il n’y avait pas d’examen de passage.

Anita Perez, chef monteuse Je crois que la rencontre réalisateur / monteur, indépendamment des problèmes posés par cette nouvelle pratique du casting, reste essentielle. Il y a des premières rencontres et des expériences de travail qui font qu’on va poursuivre une collaboration de film en film. En général, on poursuit une collaboration parce qu’on s’entend. Même si le montage est un métier auquel correspond une définition de fonction précise et technique dans la convention collective, dans la réalité du travail, le montage se situe vraiment dans la relation entre deux personnes, le réalisateur et la monteuse, avec le matériau apporté, c’est-à-dire les rushes, le projet et le film qu’il faut faire. C’est dans cet entre-deux que quelque chose se produit, quelque chose qui va devenir le montage. C’est une négociation entre le réalisateur et la monteuse à partir d’un matériel donné avec le film rêvé et le film à faire.

Marie Castro, chef monteuse Je voudrais dire que la rencontre se fait aussi à la lecture d’un scénario. Donc le chemin idéal, c’est lire un scénario, c’est apprécier ce scénario, l’aimer – parce que toutes les histoires ne conviennent pas à tout le monde, moi par exemple j’ai horreur de la violence, j’ai horreur de certaines choses, il y a des choses qui me conviennent davantage. Il y a donc forcément déjà une rencontre à travers une lecture. Quand cette lecture a eu lieu, on commence à avoir un échange, une discussion avec le réalisateur. Et là se crée peut-être le désir d’une collaboration qui évoluera et qui fera qu’on aboutira à un montage et qu’on ira à la fin d’un travail. Mais je pense qu’au départ il y a d’abord un scénario, une lecture, la rencontre autour de ce scénario et une discussion avec le réalisateur.

Camille Cotte, chef monteuse Je trouve qu’il y a un malentendu actuellement, parce que je pense que beaucoup de réalisateurs ou de monteurs ne savent pas qu’ils peuvent se choisir et se rencontrer. J’ai remarqué qu’il y a des producteurs qui proposent un monteur, sans demander l’avis du réalisateur, et des réalisateurs qui ne pensent même pas avoir à donner leur avis, ne sachant pas exactement ce qu’est un monteur. Ce n’est pas forcément une volonté de la production de vouloir imposer un monteur avec un CV comme ci ou comme ça, c’est aussi parce que nous sommes considérés comme des techniciens, alors hop on en prend un et on le présente au réalisateur. La production pense que c’est à elle de le faire et c’est assez dommage parce qu’en fait, il y a une méconnaissance vraiment de l’importance que peut avoir la rencontre entre deux personnes qui vont partager un long moment. Je crois qu’au montage, il y a le plaisir du scénario, il y a la rencontre, il y a le choix que les deux personnes peuvent faire l’une pour l’autre mais il faut aussi savoir comment on va se supporter. Enfin, il va vraiment y avoir une histoire qui se crée entre deux personnes et il faut être capable de la vivre, il faut avoir la force d’avoir quelqu’un en face de soi. Cela vaut pour les deux, monteur et réalisateur.

Jacques Blociszewski On est donc ici bien au-delà de la technique ?

Camille Cotte On est bien au-delà, on est vraiment dans un rapport de relations. Moi je trouve que le montage c’est savoir écouter l’autre, c’est le supporter, c’est le comprendre, sans être obligé de passer forcément par un rapport de séduction, même s’il existe évidemment entre deux personnes. C’est être capable de ne pas s’approprier l’histoire et en même temps de se l’approprier. C’est compliqué mais je suis persuadée que c’est à nous, monteurs et réalisateurs, d’insister pour que cette rencontre ait lieu et d’expliquer son importance aux producteurs.

Jamileh Nedaï, chef monteuse Moi je monte essentiellement des documentaires, mais j’ai fait aussi des fictions et d’autres choses. Il faut dire que le montage idéal, la situation rêvée, c’est la voie d’un scénario, d’une rencontre et la compréhension de deux personnes autour d’une histoire qui va être créée, une histoire qu’on va inventer dans la salle de montage, qu’il s’agisse d’une fiction ou d’un documentaire. Il y a des gens ici ce soir qui ont travaillé dans ces situations rêvées dans lesquelles il y avait des rencontres, il y avait des textes, il y avait une écriture. Souvent, on cherche un sujet désiré dans l’écriture, comme un écrivain de roman. Mais, au contraire d’un écrivain, on cherche à comprendre l’histoire qui existe dans les images. Cela dépend de ce couple réalisateur / monteur qui se réunit et fait le travail qui devient de l’art ou de la création. Avec ce souci de faire comprendre au spectateur tout ce qu’on a compris, tout ce qu’on a décidé, tout ce qu’on a vécu dans la salle de montage. Mais aujourd’hui, il y a le monde de l’argent qui intervient de plus en plus et ce genre de rencontre, aussi bien pour les réalisateurs que pour les monteurs, devient un peu rare. Dans le monde du documentaire notamment, à cause des évolutions technologiques, c’est-à-dire des possibilités d’aller plus vite, on vit le stress, le manque de travail, le manque de temps de réflexion. Aujourd’hui, on nous demande d’aller de plus en plus vite, de devenir de purs techniciens, ce qui se résume à une bonne manipulation des logiciels. Si vous connaissez le logiciel Final cut pro, vous êtes monteur ! Qu’est-ce que c’est le montage aujourd’hui ? Quel est le rôle du monteur ? Bien sûr, des gens de ma génération ont pu vivre les situations rêvées dont je parlais, on aimerait bien défendre notre rêve mais il faut parler des difficultés des autres, des jeunes générations, des nouvelles conceptions de montage.

Jacques Blociszewski Les mots ” rêve ” et ” réalité ” reviennent souvent…

Dominique Barbier, chef monteuse Je suis monteuse, essentiellement de documentaires, et je réagis à ce que vient de dire Jamileh parce qu’il me semble qu’il faut essayer plutôt de cerner notre rôle, je dirais en tant qu’accoucheur. Je n’ai pas trop envie de parler des conditions de travail parce que ce n’est pas le débat, ce soir. J’ai le sentiment qu’il est plus intéressant d’essayer de cerner la relation qui peut exister effectivement entre le réalisateur et le monteur et que je trouve personnellement très compliquée à gérer. Je parlerais peut-être de maïeutique dans le sens socratique de faire accoucher les idées. Le montage m’intéresse en ce sens parce qu’il y a un matériau, un matériau brut, souvent avec énormément de rushes en documentaire – de plus en plus d’ailleurs – et il faut essayer d’en sortir vraiment le principal, la substantifique moelle en quelque sorte. Il faut en faire une synthèse avec le réalisateur et arriver à construire le film. Le film que le réalisateur avait dans la tête et qui, au final, ne sera pas forcément le même, car dans les rushes on aura peut-être trouvé des surprises. En tant que monteurs, nous sommes effectivement les premiers spectateurs. C’est à nous de trouver – en ce sens le montage est créatif – le chemin qui n’était peut-être pas prévu par le réalisateur. Il y a une forme de réécriture au moment du montage. Quelquefois, je me sens un peu le nègre de quelqu’un. J’aimerais qu’on réagisse sur cet aspect parce qu’il y a des moments où c’est gratifiant, et d’autres moments où cela ne l’est pas. C’est très compliqué de gérer cette relation, il faut être humble. Quelquefois on a le sentiment d’apporter énormément de choses dans la construction du film, dans la structure et dans l’écriture mais il faut se mettre un peu en retrait parce que si on en fait trop, c’est au détriment de l’ego du réalisateur.

Anita Perez Je voudrais réagir aux paroles de Dominique. Moi je ne me sens pas le nègre de quelqu’un. Je travaille aussi en documentaire où il n’y a pas de scénario écrit et où effectivement tout se passe au montage. C’est à la fois captivant, passionnant et excessivement troublant. Il y a des moments de doute, il y a des moments d’incertitude énorme quand on ne sait pas si le film va vivre, si il va trouver son mouvement. Il y a parfois des situations extrêmes. J’ai monté dernièrement un film à partir de 120 heures de rushes. 120 heures pour faire un film, honnêtement, c’est très difficile, parce qu’il peut y avoir de la richesse mais il peut y avoir aussi indigence dans cette quantité de rushes. Quand on est confronté à cette situation, on peut ressentir des moments de grande dépression parce qu’on ne sait pas, malgré toutes ces heures et ces heures, s’il y a quelque chose, s’il y a un film. Et le film il faut le trouver. Il faut trouver, j’allais dire dans ces kilomètres, de quoi faire une histoire, trouver une circulation de sens. Quelquefois elle se trouve vite – ce sont les hasards et la surprise – mais rien n’est prévisible. C’est tout ce travail, cet investissement, avec toutes ses difficultés et ses risques, qui est passionnant. Je ne crois pas qu’il y ait de frustration mais je crois qu’au fond, tout dépend de la relation ou de l’échange qui se produit pendant ce montage, dans la salle de travail. Le monteur est le premier spectateur, il réécrit ou il aide à réécrire, il n’est pas le réalisateur. Les rushes ne résultent pas du hasard mais d’un projet pensé, écrit, réalisé par un auteur qui a porté en lui le film. Pour moi, c’est très clair, je ne me suis jamais sentie réalisatrice puisque ce n’était pas de mon film qu’il s’agissait. Le montage est une relation d’accompagnement et une relation d’appropriation. Le monteur s’approprie le désir de l’autre, le désir du réalisateur jusqu’à, peu à peu, en faire son propre désir. Je trouve que la position de monteur, c’est entrer dans le désir de création de quelqu’un d’autre. C’est là que l’on s’accomplit en tant que créateur soi-même. La difficulté, l’ambiguïté peut surgir quand à la fin, on rend le film au réalisateur, car lorsqu’on le rend, c’est que le film est fini. Notre travail est terminé. Ce moment, pour moi en tout cas, correspond aussi à un deuil, quelquefois difficile à faire.

Gérard Mauger Je vais sans doute marcher sur les plate-bandes de notre collègue psychanalyste, mais il y a une chose qui me frappe dans ce débat, c’est l’usage qui semble aller de soi des métaphores familiales. Il a d’abord été question de mariages – d’amour ou de raison -, de rencontres, d’intérêts partagés, d’affinités électives et même d’agences de casting, pas si éloignées des agences matrimoniales. Ces opérations de recrutement – le mariage en est une – ne s’effectuent jamais au hasard. On peut mettre en évidence des lois inconnues, méconnues, mais très efficaces qui font qu’on a des chances, aucune chance ou très peu de chances de se rencontrer : les gens ne se rencontrent pas socialement au hasard. La transformation du marché du travail que vous évoquez me semble homologue d’une déréglementation du marché matrimonial. Il me semble qu’on pourrait l’analyser comme une rationalisation croissante du marché du travail : là où on avait autrefois un recrutement qui s’opérait apparemment de façon aléatoire, au hasard des rencontres, du capital social spécifique qu’on accumule en fréquentant les milieux du cinéma et où des rencontres obligées se vivent comme des rencontres électives, les rencontres sont aujourd’hui rationalisées à travers ces instruments d’objectivation que sont les CV. Comme le font d’ailleurs les agences matrimoniales. Elles définissent des profils de gens susceptibles “d’aller ensemble”, comme le font les cabinets de recrutement qui s’efforcent de rationaliser les processus de sélection. C’est la première chose que je voulais dire. La seconde est une invitation à filer la métaphore : après la rencontre, il y a la procréation, la création. De ce couple qui se forme, naît un film. Mon film, ton film, son film, notre film peut-être. Là encore, je suis frappé de voir comme la métaphore familiale est reprise par chacun. J’ai l’impression qu’elle va de soi. Je ne sais pas si elle décrit bien ce qui se passe, en tout cas chacun la reprend à son compte comme allant de soi. Je pense qu’il faut prendre au sérieux les métaphores. Si elles fonctionnent, c’est qu’il y a des raisons pour cela. L’activité artistique souffre d’être trop rationalisée, supporte mal de se penser comme une activité rationalisée ; justement parce qu’une activité artistique est toujours solidaire d’un de halo de mystère, “parce que c’était lui, parce que c’était moi”, d’une vision enchantée des relations. Les pratiques artistiques doivent se vivre dans ce registre-là pour pouvoir fonctionner. En d’autres termes, quand la pratique artistique se vit comme un truc mécanique et rationnel, elle n’est plus ce qu’elle devrait être. Je pense qu’il fait partie de la nature même des métiers artistiques de vivre ces métiers dans un espèce de halo métaphorique qui a toujours à voir avec les affects, le désir, etc. Mais là je déborde complètement sur ce que pourrait dire Dominique.

Dominique Le Vaguerèse En effet, cela devient un petit peu compliqué comme exercice… Bon, il ne faut pas que je dise les mêmes choses que le sociologue. Ce que j’ai entendu, c’est plutôt la difficulté de différencier le monteur du montage. Quelqu’un a dit : “quand on réécrit le film”. Je ne sais pas si ce n’est pas un peu abusif de parler de “réécriture du film”. Il y a là certainement quelque chose qui se passe. Quelqu’un a parlé de la construction, des surprises, des trouvailles que font les monteurs au moment du montage. Mais il y a peut-être une notion d’illusion d’engendrement. Cela se fait, quand même, dans le temps un film, dans des temps différents de fabrication. Il y a aussi ce qui a été dit des kilomètres de rushes. C’est à dire que le montage, c’est le moment des coupures. Pour moi, le montage, c’est l’art des coupures, le moment de symbolisation du matériau.

Luc Forveille, chef monteur J’aimerais réagir sur cette histoire de métaphore familiale, peut-être parce que je suis un représentant masculin de la profession du montage mais je trouve qu’il ne s’agissait pas du tout de métaphores familiales mais plus de métaphores de couple, d’amour, de désir et moi, bizarrement, je ne suis pas du tout dans cette idée-là, dans mon rapport au montage, dans mon rapport au film. Moi, j’ai plutôt l’impression de me réunir avec quelqu’un autour et pour un projet. Et que c’est cela la première chose. Les rapports avec le réalisateur ou la réalisatrice sont quelque chose qu’il faut vivre de toute manière, mais malgré tout, la première rencontre est pour un film, autour d’un film. Alors je ne sais pas si c’est une vue masculine des choses mais j’ai été un peu étonné, pendant tout le début du débat, de cette vision du montage. Comme si l’essentiel du travail de montage était le rapport avec le réalisateur ou la réalisatrice. Or pour moi, l’essentiel du travail de montage est le rapport avec le film. Pour revenir à la métaphore familiale, j’ai envie de dire qu’il y a d’abord un enfant à faire et en second lieu un couple à gérer. C’est plus dans cet ordre-là.

Sylvain Roumette, réalisateur Je crois aussi que c’est le film qui médiatise la relation entre le réalisateur et le monteur. La meilleure preuve c’est qu’au cours du montage, quelque soit le type d’accord ou de complicité qui existe, celui-ci a tendance à s’effacer devant le rapport qui s’établit avec l’objet film, l’objet qu’il s’agit de construire. Si on revient à ce qui a été dit tout à l’heure sur comment se passe la rencontre ou comment s’effectue le choix entre un réalisateur et un monteur, je crois que c’est problématique. C’est une rencontre difficile qui crée, chez le réalisateur en tout cas, une grande appréhension, surtout quand il s’agit de travailler avec un nouveau collaborateur au montage. Ce n’est pas une chose simple car il s’agit de déclencher, de faire partager à l’autre, quel qu’il soit, un désir qui est le désir du film, de cet objet qui pour l’instant est un objet imaginé ou imaginaire. Le problème se pose de la même façon avec l’équipe de tournage. Ce qui m’a toujours à la fois étonné et gratifié, dans ce métier, c’est de travailler avec des gens qu’on choisit et avec la satisfaction d’être choisi par eux. C’est un des rares métiers où l’on peut fonctionner comme cela, quand c’est encore possible en tout cas. J’ai toujours été frappé de voir à quel point l’investissement, l’implication à tous les niveaux – artistique, professionnel, en temps, en énergie – peut aller quelquefois très loin dans le désir de réaliser cette chose qui est le projet du film. Il y a aussi le mystère d’une relation que l’on crée ou que l’on ne crée pas avec des gens. C’est lié probablement à l’importance de la conviction que l’on peut avoir soi-même. C’est lié à des tas d’autres facteurs qui sont les facteurs qui règlent généralement les relations entre les gens. Il y a de la séduction mais il n’y a pas que de la séduction, il y a quelque chose qui se passe ou qui ne se passe pas. On n’est jamais complètement tranquille. D’ailleurs ce que je voudrais dire aussi, c’est qu’au moment où on arrive au stade du montage, bizarrement le monteur ou la monteuse est beaucoup plus assuré, plus solide sur ses jambes que le réalisateur. Cela m’a toujours frappé. Parce que le réalisateur, à ce stade, est en présence de deux films : le film qu’il a imaginé et le film réel qui n’existe pas encore mais qui est là simplement. Or chacun sait que l’on ne monte que ce que l’on a tourné. On ne peut pas faire autrement. Et dans cette sorte d’échange qui s’établit alors au montage, le monteur ou la monteuse est beaucoup plus solide que le réalisateur. Ce qui explique d’ailleurs que très souvent, dans la négociation qui se joue sans arrêt au montage, le monteur ou la monteuse est quelqu’un qui est beaucoup plus assuré de ses choix.

Jacques Blociszewski Quelle est votre inquiétude de réalisateur lorsque vous parvenez au stade du montage ?

Sylvain Roumette L’inquiétude c’est de savoir si on pourra faire quelque chose qui va, au final, ressembler au film que l’on avait imaginé. Est-ce que l’on a ce qu’il faut ? Est-ce que l’on va trouver les clés d’organisation de ce matériau, pour que les choses se mettent en place ?

Jacques Blociszewski Ce que vous attendez du monteur, c’est cette notion d’organisation ?

Sylvain Roumette Absolument. Encore une fois ce qui est frappant, c’est que le monteur ou la monteuse sait mieux que le réalisateur ce qu’il faut aller chercher. C’est l’histoire du sculpteur et de la masse de marbre. La masse de marbre, il faut savoir qu’il y a un cheval dedans et le monteur le sait plus facilement et mieux, souvent, que le réalisateur lui-même. Il sait déjà comment il va faire sortir le cheval.

Jacques Blociszewski Est-ce que cela ne rejoint pas ce que disait Anita Perez à propos des 120 heures de rushes ?

Anita Perez Je pense que ce que dit Sylvain est juste. Le réalisateur a porté un film pendant des mois, voire quelquefois pendant des années. Il l’a rêvé et nous, les monteurs, nous arrivons devant les rushes, nous avons ce regard neuf et sans a priori par rapport à ce matériel. Donc, il est logique que l’on puisse plus facilement voir ou entrevoir ce que le film sera ou ce qu’il peut être. Les rushes sont chargés de ce que le réalisateur a porté. Et le mouvement du film, ses articulations, le monteur les trouve plus aisément lorsqu’il est dans l’échange avec le réalisateur. C’est bien de cela qu’il s’agit lorsque je parle de négociation, c’est justement cet enrichissement constant, ces allers-retours de réflexion à la recherche du sens. Et à la fin, quand je me retrouve devant le film achevé avec la même émotion que celle ressentie à la vision des rushes, c’est que j’ai retrouvé l’émotion qui m’a donné envie de faire ce travail sur ce film.

Jacques Blociszewski Vous retrouvez la même émotion que lorsque vous regardez les rushes. Tiens…

Véra Memmi J’ai même l’impression que c’est là qu’on peut dire que le film est réussi. Cette émotion-là est très importante à retrouver.

Jacques Blociszewski Mais que s’est-il passé entre temps, alors ?

Véra Memmi On l’a fabriqué.

Jacques Blociszewski Quand même !

Vera Memmi On ne peut pas être tout le temps sur un registre émotif. Pas plus qu’on ne va être sur un registre de séduction. Moi je n’ai pas trouvé de contradiction avec ce que disait Luc. On est là effectivement pour faire le film. Pour le fabriquer.

Thierry Derocles, chef monteur Je voudrais juste donner un tout petit apport sur cette histoire de famille. Moi je crois que cette idée est venue aux personnes qui en ont parlé parce qu’objectivement, elles entrent dans une pièce, une chambre, on tire les rideaux, on éteint les lumières… (rires) Bien sûr, cela peut évoquer des choses mais moi je ne me situe pas du tout sur ce terrain-là. N’oublions pas que le réalisateur a beaucoup de collaborateurs. Ce qui fait la spécificité du monteur, c’est simplement qu’il est au bout de la chaîne. Maintenant, il faut terminer. C’est comme un peintre qui fait son tableau. A quel moment arrête-t-il de rajouter de la couleur, à quel moment arrête-t-il de donner son coup de pinceau ? C’est comme le sculpteur, à quel moment arrête-t-il de taper sur son burin avec son marteau ? Je crois que dans tous les arts, il y a un moment où il faut savoir s’arrêter. D’ailleurs on connaît tous des artistes qui n’y arrivent pas et qui en souffrent terriblement. Dans le cinéma, on en connaît un certain nombre. Là, il y a un vrai rôle à jouer dans le sens où tous les collaborateurs précédents ont donné tout ce qu’ils avaient à donner. Ils ont ouvert des portes et, au montage, il s’agit de les fermer. Donc nous sommes, en tant que monteurs, dans une situation tout à fait privilégiée, dans le sens où il y a véritablement un couple, comme au début avec le scénariste. C’est pour cela que l’on compare souvent le travail de collaboration du montage à celui du scénario. Il est vrai que ces écritures sont très différentes. Mais il y a véritablement un couple et ce couple-là ne fonctionne pas du tout sur le mode du mariage, du désamour ou de l’amour. Non, je ne crois pas qu’il s’agisse de cela. Je pense qu’effectivement des personnes qui humainement ne s’entendent pas, cessent de travailler ensemble. Cela m’est arrivé, c’est arrivé à tout le monde. On fait un film, on termine le film, mais on ne travaille plus ensemble après. Et pourtant le film est abouti, et même parfois le film a très bien marché, donc cela n’a rien à voir. Je crois que, dans l’investissement, il y a un moment où l’on sublime à travers l’objet et qu’il n’est plus question d’un rapport amical ou amoureux ou je ne sais quoi. Ce qui nous différencie des autres techniciens, en tant que monteurs, dans notre rapport au réalisateur, c’est que dans les autres cas, même quand il y a un rapport de binôme – comme avec le chef opérateur qui est terriblement investi dans le film – ce rapport se déroule dans une grande salle comme celle-ci. Là, on n’éteint pas les lumières, au contraire on les allume, là au contraire il faut qu’il y ait le maximum de présence, de bruit et de fureur, alors que dans le montage c’est l’inverse. C’est ce qui a pu faire un peu déraper certaines personnes sur certaines métaphores. Mais moi je crois vraiment que l’essentiel, c’est cette clôture, alors que le tournage est dans l’ouverture et le scénario plus encore.

Jamileh Nedaï Il a été dit que le réalisateur arrive avec un film rêvé, avec les matières tournées et qu’il n’est pas sûr que son rêve soit dans cette matière. Ce qui m’intéresse énormément au montage, c’est de découvrir son rêve dans ces images. C’est pour cela que je n’utiliserais pas le mot de négociation, je parlerais plutôt de compréhension. Essayer de comprendre, de découvrir son rêve. A partir du moment où on arrive à ce point-là, c’est un plaisir énorme. Pour moi, ce n’est pas du tout une histoire d’amour, ce n’est pas du tout cela, ce n’est pas l’amour partagé, c’est vivre un rêve qui était déjà rêvé sur le plateau par les autres membres de l’équipe avec le réalisateur et puis, dans la salle de montage, à deux, on rêve ce rêve. C’est pour cela que je partage les mots d’Anita. Moi aussi, dernièrement, j’ai eu des quantités énormes de rushes pour un film. Des matières sublimes. Le choix est alors énorme parce que les matières sont sublimes et il est plus difficile d’en “sortir” le film. Il s’agit de partir de ce rêve qui a été tourné par le réalisateur, le refaire, le définir, le déterminer et le retrouver dans le film fini. Et quand je le retrouve, alors je suis sûre que le film va marcher.

Jacques Blociszewski Nous avons entendu négociation, rêve, réalité, passage du rêve à la réalité, matérialisation du rêve. Comment le réalisateur et le monteur parviennent-ils, de 120 heures de rushes, à une heure ou une heure et demie ? Je suppose qu’il y a alors des choix difficiles… Il faut déjà entrer dans le rêve du réalisateur. Et ensuite comment arrive-t-on à cette réduction extrême pour aboutir à un film infiniment plus court que le temps représenté par les rushes ? A chaque étape, il faut choisir, non ?

Dominique Gallieni, chef monteuse Voilà, le mot important, c’est le mot choix. Dès le début on choisit, à la fin on choisit. On passe notre temps à choisir. C’est pour cela que l’on a un rapport avec toute la réalisation du film, c’est-à-dire avec la lumière, avec les acteurs, avec le son. C’est le choix de tous ces éléments et l’organisation de ces choix qui développent des sentiments. Mais c’est plus encore, c’est être obligé de trancher. Cela crée des douleurs et des plaisirs…

Jacques Blociszewski Est-on quelquefois dans le compromis ?

Dominique Gallieni On peut l’être, mais on est de toute façon obligé de trancher.

Marie Castro S’il n’y a pas de compromis, il n’y a pas de film. C’est simplement une remarque, j’ai travaillé avec un réalisateur et on parlait justement du choix et du problème du choix, on avait des discussions très longues et je me souviens que pour moi choisir c’était vivre, et pour lui choisir, c’était mourir. Donc la notion de choix est aussi quelque chose de très particulier dans ce métier. L’importance du choix, c’est quelque chose de très impressionnant. Pourquoi ici ? Pourquoi cela ? Pourquoi ce plan ? Et c’est là que se trouve effectivement le film, le sujet, l’histoire. Mais on doit toujours se reposer la question : qu’est-ce qu’on raconte ? Qu’est-ce qu’on doit raconter ? Qu’est-ce que veut raconter cette histoire ? Parfois ça devient subjectif. On n’est pas toujours d’accord, réalisateur et monteur, sur les choix. Il faut se convaincre, discuter avec l’autre. C’est la discussion autour du film et des raisons de tel et tel choix qui permet de faire avancer le film.

Jacques Blociszewski Est-ce que les réalisateurs ont le sentiment de devoir renoncer à contre-cœur à certaines scènes, à certains plans ? Choisir, c’est toujours renoncer à quelque chose…

Sylvain Roumette Cela se produit tout le temps bien sûr. Moi cela ne me gêne pas spécialement parce que j’accepte assez facilement de renoncer, de choisir ou de couper. Ce n’est pas la chose qui me coûte le plus. Pour continuer sur le choix, cela me fait penser à une phrase de Baudelaire qui parlait des poètes et qui disait qu’entre les qualités qui sont nécessaires pour être poète, l’imagination et l’esprit critique, la plus importante c’était l’esprit critique. Et je crois que la qualité essentielle du monteur, c’est l’esprit critique. Des deux, dans le fameux couple dont on parle depuis tout à l’heure, s’il y en a un qui est délégué à l’esprit critique, c’est le monteur. C’est normal, c’est à cause de la position qu’il occupe dans la chaîne. Je crois que la confiance que l’on peut avoir dans un monteur, c’est la confiance justement dans cette fonction critique.

Jacques Blociszewski Il a une distance, un recul par rapport au film que le réalisateur n’a pas ?

Sylvain Roumette D’une part, oui, c’est conjoncturel. Mais, par ailleurs, il vaut mieux que le monteur ait effectivement une fonction critique qui soit sûre.

Claude Guez, chef monteur Je suis monteur, j’ai monté des documentaires, j’ai aussi fait de l’information, du magazine. Je n’ai pas fait de fiction par contre. Alors je vais parler de ce que je connais. Ce qu’on monte, c’est toujours le projet d’un autre. Donc ce n’est jamais le nôtre. Quand on débute dans ce métier, on nous fait croire qu’on participe à la création. Mais la création arrive en étant déjà presque en forme. On est juste là pour que cela tienne, que ce soit esthétique et que ce soit bien, mais ce n’est pas notre création. On croit participer à la création jusqu’à ce que l’on s’aperçoive qu’en fait, on travaille pour les autres, on se met à la disposition des autres. J’aime bien le terme d’accouchement. On aide, on est presque des sage-femmes, on aide à faire sortir le bébé. On essaye qu’il ne soit pas maltraité, qu’il soit en forme, qu’il n’ait pas de bosses, qu’il n’ait pas de coups et que la naissance se passe bien. On ne fait pas autre chose. Croire qu’on fait autre chose, c’est usurper le rôle du réalisateur. Croire qu’on fabrique quelque chose, c’est se prendre un petit peu pour le réalisateur et le réalisateur de temps en temps laisse croire cela, ne serait-ce que pour motiver son monteur ou sa monteuse. Il faut quand même être humble, le monteur ou la monteuse c’est quelqu’un qui est là pour aider le réalisateur à mettre en forme un projet, avec toute sa sensibilité, toute son intelligence, tout son talent.

Sylvain Roumette Moi je ne suis pas tout à fait d’accord. Je crois que la métaphore de l’accouchement n’est pas tout à fait exacte parce que l’accouchement consiste à faire sortir effectivement un bébé qui existe déjà, qui est là. Alors que dans notre cas, le bébé n’est pas fait ou il n’est pas complètement fait. La preuve, c’est que tout le monde sait qu’avec un même matériau de rushes, on peut faire des films complètement différents. On en a tous fait l’expérience.

Frédéric Goldbrown, réalisateur Tout à l’heure, le jeune homme qui est monteur disait : “il faut être humble, on ne fait jamais que mettre en forme une création”. Moi je trouve que mettre en forme dans le cinéma, c’est quand même une question essentielle, ce n’est pas une petite question. Un film existe justement par sa forme. Je suis content qu’on ait ramené la question du projet au centre de la relation entre monteur et réalisateur. Je sais que quand je propose à un monteur ou à une monteuse de travailler avec moi, c’est toujours à la fois parce qu’il ou elle s’intéresse au projet et, en même temps, parce que je sais qu’il ou elle aura un point de vue différent du mien et apportera quelque chose de nouveau par rapport à moi. Donc il y aura confrontation et je crois que c’est une source de richesse. Là, je ne parlerais pas de compromis parce que c’est toujours des rapports de transmission, de désir et d’intention. C’est plus des rapports de conviction qui s’installent dans le temps que des histoires de concessions. Personnellement, j’ai travaillé avec des monteuses et non des monteurs, je n’ai pas fait beaucoup de films mais à chaque fois, j’ai eu l’impression que les monteuses me faisaient découvrir quelque chose de nouveau dans le travail.

Dominique Barbier Je voudrais réagir sur le terme d’accouchement parce que je me sens un peu visée. Je voulais simplement dire “faire accoucher des idées” et non pas “faire accoucher d’un bébé”. Pour moi c’est une forme de dialectique. Il s’agit d’arriver à confronter ses idées pour aider le réalisateur à faire son film. C’était plus cette idée-là que je voulais exprimer.

Gilles Dinnematin, réalisateur et chef monteur Je suis un peu atypique dans cette salle parce que j’ai commencé par réaliser des films, aujourd’hui je suis un “jeune” monteur et, parallèlement, je continue à être réalisateur. J’ai aussi monté mes propres films. Donc, j’ai fait un peu tout. J’ai même produit des films. Aussi, j’ai été amené à choisir des monteuses et des monteurs. Je m’étais promis de ne pas parler mais je vais le faire parce que je ne suis pas du tout d’accord avec ce que j’entends. Moi je n’ai jamais eu le choix : il y a un film, il s’agit de le faire venir et il n’y en a qu’un. On ne fait pas 50 films avec 120 heures de rushes, on fait un film. Il n’y en a qu’un, il s’agit de le faire. Sinon, je ne sais pas ce que l’on fait, ou alors on fait de la télévision, du magazine, c’est à dire que l’on met bout à bout des rushes… Je crois que mon rôle de monteur n’est pas un rôle d’accoucheur, c’est un rôle d’analyste, on peut dire quelquefois de thérapeute. C’est aussi un rôle politique, c’est-à-dire que je suis le politique, je suis la personne qui va mettre de l’éthique dans le travail et dans les images qui ont été prises. On a tous refusé de monter des images je crois, en accord ou pas avec le réalisateur. Et à chaque fois que j’ai eu un problème d’éthique et de politique avec un réalisateur sur des images qu’il voulait montrer, à chaque fois le débat menait à un travail analytique avec le réalisateur. C’était là que se posaient effectivement les problèmes. Finalement quand cela se passait bien, c’était quand on avait réussi à être dans l’écoute de l’autre, et que l’autre se trouvait satisfait de cette écoute et avait finalement réalisé son analyse. Mais dans ce travail-là, dans le travail de thérapie – si on accepte cette conception – il y a quelque chose qui existe qui s’appelle l’ego et qui est terriblement encombrant. D’ailleurs les thérapeutes, les analystes le savent parfaitement, c’est pour cela qu’ils font une analyse et qu’ils font un travail avant de devenir thérapeutes, pour se sortir de l’ego. Notre problème en tant que monteurs, c’est que pendant notre travail, nous nous retrouvons dans la position d’analyste, et pas d’analysant, sans avoir nous-même tué l’ego. Il faudrait d’ailleurs réfléchir à cet aspect dans la formation des monteurs et des monteuses. J’ai beaucoup discuté avec des monteuses qui travaillent depuis longtemps au montage, elles se retrouvent très souvent confrontées à des conflits, à des maladies symptomatiques. Il y a des maladies qui explosent, il y a des maux de dos, des maux de mains, il y a des maux de poignets qui surgissent et qui disent beaucoup l’absence de prise en compte du fait que l’on n’est pas assez thérapeutes, pas assez conscients pour des thérapeutes. C’est un monde impitoyable, n’est-ce pas Gérard ? Parlez-nous de ce monde impitoyable.

Gérard Mauger Dans cette nouvelle phase de débat, il était surtout question des formes, de la division du travail, dans le monde cinématographique, une fois que les rushes ont été produits et qu’on se trouve dans la salle de montage. Par rapport à cette question, il faudrait essayer de reconstruire le répertoire des différentes modalités possibles, de la division du travail qui se traduisent dans des formes d’interactions particulières entre un/une monteur/monteuse et un/une réalisateur/réalisatrice. Il me semble vraisemblable que toutes les configurations soient possibles. On peut imaginer des formes de coopération entre égaux, des interactions relativement égalitaires, on peut imaginer aussi diverses formes de rapports de domination, et en particulier ces formes de domination charismatique qui engendrent et suscitent la croyance, l’illusion. Ou encore des formes de domination bureaucratique, “c’est comme ça, c’est pas autrement et puis si vous n’êtes pas content, dehors” ou “on n’a pas le temps de discuter, alors je vous en prie, vous faites ce que je vous dis”.Voilà une domination bureaucratique, autoritaire. J’imagine que tous les cas de figure existent : il faudrait donc construire le répertoire de ces formes. Tout cela est relativement banal. Mais il faudrait aussi étudier les modalités, les conditions de l’établissement d’un accord par rapport à ces choix qu’il faut bien faire. Les conditions et les possibilités de l’accord renvoient aux principes implicites qui dictent les choix de l’un et de l’autre, c’est-à-dire la représentation que chacun a, que chacun se fait, de ce qu’ils sont en train de faire, mais qui n’est pas encore fait. S’il était déjà fait, ce serait fini. Donc ils ont une représentation qui est elle-même sous-tendue par des principes de vision : d’où la pertinence à mon avis de la métaphore du mariage dont on parlait précédemment. Les affinités électives font qu’on trouve implicitement et facilement un accord sur un certain nombre de sujets, de thèmes, de goûts, de jugements, de choix. Cette question des modalités de l’accord me semble très intéressante parce qu’elle renvoie à ce qui dicte les choix des uns et des autres, c’est-à-dire aux représentations qu’ils se font de ce que le film a à être ou de la vision qu’ils ont de ce que ce film pourrait ou devrait être. Là encore, il faudrait analyser le répertoire des cas de figure possibles : accepter le regard de l’autre, ou le récuser, essayer de se fondre dans le regard de l’autre et renoncer au sien propre, infléchir son propre regard en tenant compte du regard de l’autre, etc. J’ai relevé également l’intervention de cette tierce personne dans la relation : “il y a le film”. Le film joue effectivement un rôle propre dans cette interaction dans la mesure où le film, c’est “le film en train de se faire”, c’est l’ensemble des choix qui ont déjà été faits. Le poids des choix effectués préfigure l’allure que va avoir ce film, sauf à tout foutre par terre et recommencer à zéro. Donc il y a une espèce de logique immanente à ce film en train de se faire qui est la résultante de ces choix déjà faits, c’est-à-dire de ces accords qui ont déjà été conclus. De ce fait, l’interaction ne se construit pas seulement entre deux personnes avec leurs dispositions, leurs intérêts, leurs goûts, etc., mais aussi avec ce tiers qui prend une importance grandissante et qui permet sans doute aussi de finir. La question de la fin du film qui a été évoquée me semble très intéressante : un film est virtuellement un produit interminable, mais il y a aussi heureusement un moment où il faut que ce soit fini. C’est le moment où la logique propre de ce qui a déjà été fait s’impose. Alors on peut trouver le résultat satisfaisant ou non, mais en tout cas il est fini, parce que ce serait trop difficile de revenir en arrière.

Sylvain Roumette Je voudrais réagir à quelque chose qui a été dit tout à l’heure et qui m’a un peu choqué. Il a été dit que le monteur était dans la position de celui qui amenait un peu d’éthique. Cela m’a choqué parce que j’espère que l’éthique est présente avant et que ce n’est pas le monteur seul qui est chargé de faire la police de l’éthique. En réalité, cela m’a choqué sur le moment mais en réfléchissant je pense qu’il y a quand même quelque chose de vrai là-dedans. Il peut arriver qu’il y ait un conflit entre un réalisateur et un monteur parce que je pense que le réalisateur est plus prêt à faire certaines concessions d’ordre éthique. Je ne sais pas si c’est dû à son ego ou au souci d’aller jusqu’au bout de sa démarche ou encore au regard qu’il porte sur son travail. Il peut y avoir conflit parce que le monteur, lui, a une autre position. On a dit qu’il est le premier spectateur, le premier regard, moi je le perçois souvent comme l’ambassadeur du public à tous points de vue, y compris celui de la nécessité de la clarté et de la compréhension. Pour rester sur le terrain analytique, le monteur c’est un peu le surmoi, c’est lui qui assume ce rôle là, apparemment. Aussi je me dis que cette remarque qui m’avait d’abord choquée est peut-être assez opérante.

Dominique Le Vaguerèse Je voudrais revenir un peu en arrière et reprendre ce qui a été dit de l’émotion. Peut-être qu’il y a là une piste qu’il faudrait approfondir. Celle du monteur qui retrouve l’émotion au montage final, l’émotion qu’il avait éprouvé lors des rushes – certains se sont exprimés dans ce sens. Il faudrait étudier cette inter-relation qui s’établit entre l’image et ce spectateur privilégié qu’est le monteur. Cela nous rappelle que le cinéma, c’est un lieu justement où on est dans le noir. De ce noir, des images, des personnages vont surgir, comme dans le rêve. C’est peut-être ce qui libère la possibilité de la vie psychique du spectateur. Et qui rapproche le travail du montage de celui du rêve. Et qui renforce l’idée que le montage est bien un moment de symbolisation. Le travail du monteur est destiné à être invisible.

Frédéric Goldbrown Sur cette question de l’éthique, je pense que ce n’est pas forcément juste de dire que le monteur serait le seul à amener de l’éthique dans la salle de montage, le réalisateur en amène aussi. D’ailleurs dans certains cas, le réalisateur qui peut être très proche des gens qu’il a filmés s’interdit implicitement certaines choses ou ne les ose pas et là, c’est le monteur qui peut dire ” il faut aller plus loin dans cette direction “. Le moment du montage est vraiment un échange et cela peut aller dans les deux sens. C’est une relation qui s’établit, c’est un travail en commun. Il n’y en a pas un qui serait plus le gardien de la raison.

Thierry Derocles Moi je voudrais revenir un peu sur les termes de rêve, de désir. Ce débat est intéressant parce que j’y apprends des choses. Par exemple, il ne m’était jamais venu à l’idée de pas écouter un réalisateur. C’est-à-dire que forcément, je l’écoute, tout le temps. Je l’écoute et j’ai tout le temps pour l’écouter – tant que l’on veut bien me donner ce temps-là, mais cela est une autre question. Revenons sur le désir et le rêve, moi je ne rêve pas quand j’entre dans une salle de montage, pas du tout, et je n’ai pas de désir. En revanche, j’ai beaucoup de plaisir – alors vous me direz que l’un ne va peut-être pas sans l’autre – mais là où mon plaisir s’installe c’est plutôt lorsque les choses bougent et qu’elles arrivent justement à un aboutissement. Moi, je suis un individu qui n’a pas besoin de s’approprier le film, mais qui sait qu’il y a participé. Après c’est un dialogue disons intérieur, on peut se dire que l’on a apporté ceci ou cela mais d’autres aussi ont apporté des choses. Un film est une création, c’est quand même le point de départ, et c’est pour cela que j’aime bien ce travail, c’est parce qu’on crée quelque chose, ou en tout cas on participe à la création de quelque chose. Quand cette chose est là, qu’elle existe, qu’elle est réussie et que l’on peut parler d’une œuvre artistique, à ce moment-là, moi j’ai un intense plaisir et ce plaisir dure très très longtemps. Quand je revois certains des films auxquels j’ai participé, j’ai toujours cet intense plaisir et disons que là j’existe, j’existe à travers cette œuvre-là car je m’en sens partie prenante. Mais savoir précisément à quel échelon, est pour moi tout à fait secondaire. Le vrai moment de joie que je peux avoir c’est de savoir que ce film existe et que je suis un peu dedans, malgré moi.

Marie Castro Ce qu’exprime Thierry est sans doute vrai pour lui mais je pense que chacun doit sûrement exercer son travail d’une manière différente, avec des caractères différents et des façons d’agir différentes et cela ne détermine pas la qualité ou la non-qualité de quelqu’un. Je pense que chacun a sa manière d’aborder ce travail et c’est important.

VéraMemmi Pourcompléterce que tu dis, Marie, effectivement chacun utilisedesvoies différentes, mais je croisquelesfilmsaussinousamènentà faire différemment. Je ne crois pas qu’on se conduise sur chaque film de la même manière. Je crois qu’il y a des films qui demandent une appropriation, enfin une appropriation qui n’est jamais définitive, bien évidemment, et d’autres films où les collaborations ne se font pas de la même manière. Les sujets aussi sont porteurs de quelque chose. On est dans l’imaginaire, on est dans l’imaginaire de quelqu’un, on ne peut pas se conduire exactement de la même manière à chaque fois. Et cette conduite varie aussi en fonction du genre du film : documentaire, fiction ou reportage. On a chacun une personnalité et personnellement, je crois qu’en faisant du montage, j’ai acquis une certaine souplesse, le montage donne une souplesse à l’être qui le pratique.

Jacques Blociszewski Nous avons très peu parlé des différents genres : documentaire, fiction, etc. Je suppose qu’il existe plusieurs types de montage ?

Véra Memmi J’ai l’impression que les films sont porteurs quelque part de leur montage et qu’il faut le trouver. C’est cela qui est très agréable justement, c’est cette recherche. C’est trouver. Trouver et résoudre.

Sylvain Roumette Je crois qu’il y a là une question intéressante. Est-ce qu’au fond, dans des films différents, il y a une signature qui serait la signature du monteur ou de la monteuse, de la même façon qu’il y a une signature du réalisateur ou de la réalisatrice ? C’est une question importante, je crois. Est-ce que, au fond, le monteur peut avoir cette plasticité qui fait qu’il se plie effectivement à la rhétorique de chaque film, au point de disparaître lui-même par rapport à cette loi de rhétorique ? Ou bien n’y a-t-il pas, à travers les films qui sont eux-mêmes des agencements différents, des rhétoriques différentes, la permanence d’un certain nombre de traits stylistiques, de petites choses qui font que pour quelqu’un d’averti, on peut reconnaître la signature d’un monteur ? L’autre jour à la SCAM il y a eu un débat avec Pierre Dumayet et Robert Bobert et tout le long de ce débat, on a parlé des films qu’ils avaient fait ensemble, on a parlé de ce duo qu’ils constituaient tous les deux, une sorte de couple là aussi justement. Mais en fait, on a oublié qu’il y avait quand même une autre personne avec ce duo : le monteur, en l’occurrence la monteuse qui est la même dans tous ces films. Et cette monteuse apparaît pourtant avec sa propre signature : il y a certaines entrées de musique, il y a certains types de banc-titres et d’autres choses qui pour quelqu’un d’averti sont immédiatement reconnaissables. Donc il y a là quand même une signature, seconde je dirais par rapport à la signature du réalisateur. On va dire que c’est dialectique.

Jamileh Nedaï Par rapport à la question sur les différents types de montages qui existeraient suivant les genres – magazines, documentaires ou fictions – je répondrais que je ne vois pas de différence. Avec la matière que l’on a, on raconte une histoire. Bien sûr, chaque film impose sa construction et sa façon de travailler, chaque réalisateur aussi. Mais même entre deux magazines qui traitent d’un même sujet et où le matériau utilisé est similaire, on perçoit tout de même différentes expressions de réalisation et de montage. Là aussi, on trouve la signature du monteur. J’ai monté de tout, même des actualités, pour moi c’est toujours raconter une histoire.

Anita Perez Je crois qu’un même monteur ou une même monteuse peut monter des fictions, des documentaires ou des reportages. Je pense que le montage est un seul métier. Néanmoins, je vois des différences entre la fiction et le documentaire parce que si, dans les deux cas, il s’agit de raconter une histoire, on ne part pas avec le même “matériel”. Dans la fiction, on part de personnages écrits, avec une histoire écrite – même si cette histoire on la réécrit, on la retravaille au cours du montage. On s’appuie sur un travail de comédiens qui incarnent des personnages alors que dans le documentaire on travaille avec la parole, le corps de personnes filmées qu’on doit rendre personnages. Ce n’est pas tout à fait pareil puisque d’un côté il y a fiction et de l’autre côté, on part du réel. L’approche est différente, ce qui ne signifie pas qu’un même monteur ne puisse pas savoir faire l’un et l’autre.

Camille Cotte Le problème, c’est que quelqu’un qui ne monte que des journaux télévisés ou que des petits documentaires, sans disposer de temps, n’a pas la chance de faire avec un réalisateur ce dont on parle depuis deux heures, le plaisir de partager, d’analyser, de trouver. Dans ces cas-là, je pense qu’il y a une différence énorme parce que quand on monte des petits sujets en 5 jours à toute vitesse, ce n’est plus du montage, c’est du charcutage, c’est de la boucherie, c’est affreux. Il y a toujours un esprit de noblesse attaché à la fiction parce que là, on nous laisse le temps, on nous accorde le droit d’avoir du plaisir à travailler. Sur certains documentaires où on a les mêmes conditions que dans la fiction, le plaisir est le même. Je n’y vois pas de différence dans la mesure où moi, mon plaisir est dans l’identification à tous les personnages, réels ou pas. Même dans la fiction on cherche à retrouver les sensations, les existences réelles des personnages, à s’identifier à eux, à vouloir qu’ils soient comme ça, à vouloir les changer ou pas. On a toujours des conversations autour de ces questions. Et dans un documentaire qui n’est pas un petit truc ficelé avec un commentaire mais un documentaire assez fort, sur une institution par exemple, mais peu importe le sujet, c’est pareil. Les discussions portent sur l’objectivité, les préférences pour l’un ou l’autre des personnages. On se demande si on est proche de la vérité, si on la tronque, si on ne la tronque pas. Enfin personnellement, je trouve que la réflexion sur le film est la même mais tout dépend des conditions de confort et de ce qu’on nous laisse comme confort, que l’on travaille sur un documentaire ou sur une fiction. Même si, comme entre le violon et les cuivres, il reste une espèce de noblesse de la fiction, je pense que le plaisir peut être le même en documentaire.

Anita Perez Quand j’ai parlé de différence, je ne me référais pas à la soi-disant noblesse ou non-noblesse du genre des films. Je disais seulement que le travail de construction qui tend à transformer les personnes filmées en personnages, à transformer le réel en une histoire, est un travail de montage qui fait appel à des ressorts différents.

Camille Cotte Mais dans la fiction, tu fais le même travail. Il y a des personnages qui n’existent vraiment pas dans les rushes et on se met à travailler pour qu’ils existent tels qu’ils ont été imaginés. Et puis, il y a des fictions où cela ne passe pas uniquement par des personnages, mais aussi par des idées ou je ne sais quoi d’autre. Chaque film est différent. Moi, je parlais du plaisir, le plaisir c’est de construire, c’est de trouver, c’est d’aimer les personnages qu’on fait exister, c’est extraordinaire.

Marie Castro Le scénario fait quand même une énorme différence. Entre un scénario et 120 heures de rushes, une histoire à trouver et un scénario écrit, même si j’ai autant de plaisir à faire du documentaire que du long-métrage de fiction, je pense que si le plaisir est le même, le travail n’est pas tout à fait le même.

Camille Cotte Je suis d’accord et en même temps je dirais que d’un film de fiction à l’autre, le travail est totalement différent aussi. Il y a des films de fiction où on reconstruit entièrement le film, pendant deux ans parfois. Et il y a une invention à trouver. Ce qui ne veut pas dire que le film est mauvais au départ ou qu’il a été raté. Dans toutes les salles de montage, l’ordre des séquences est accroché au mur. Un jour un ami est rentré dans ma salle de montage, il était atterré, parce qu’il voyait indiqué l’ordre des séquences du film monté : séquence 1, séquence 92, séquence 2, séquence 3, séquence 62, 18… il ne comprenait rien ! C’est un a priori de croire qu’en fiction, le travail de scénario est déjà fait alors que dans le documentaire, il est à faire.

Gérard Mauger Une remarque à propos de la question de la signature du monteur, et aussi de celle du réalisateur. On peut tenter de la mettre en rapport avec la diversité des situations auxquelles sont confrontés les monteurs, diversité liée aux genres, au temps dont ils disposent, etc.. Peut-on, à travers la diversité des genres pratiqués, reconnaître un monteur ? A quoi le reconnaît-on ? Je voudrais faire un parallèle avec les rapports qui s’établissent entre danseurs et chorégraphes dans la danse contemporaine. Si on sait à peu près ce qu’est dans le monde de la danse contemporaine le style d’un chorégraphe, peut-on identifier un style propre d’un danseur ? Dans un univers qui n’implique pas une relation de commandement entre chorégraphe et danseurs avec une scénographie et une chorégraphie extrêmement précises mais qui laisse toujours une marge d’interprétation à l’interprète, au danseur ou à la danseuse, qui ont dû néanmoins intérioriser la gestuelle spécifique du chorégraphe pour lequel il travaille. Pour le danseur, la qualité primordiale est-elle la plasticité corporelle, sa capacité à danser pour n’importe quel chorégraphe ? Le savoir-faire du danseur accompli est-il sa capacité à s’adapter à toutes les manières d’être des chorégraphes – vous pouvez traduire facilement en remplaçant chorégraphe par réalisateur – ou bien le danseur ou la danseuse apportent-ils, par rapport à chaque chorégraphe, leurs qualités propres ? Je pense que oui, ne serait-ce qu’une hexis corporelle toujours singulière. Le corps d’un danseur n’est jamais totalement interchangeable avec celui d’un autre. On pourrait dire que son corps c’est sa signature, c’est son hexis personnelle, sa morphologie, sa manière d’être. Dans cette perspective, pour comprendre ce qu’est la signature du monteur, il faudrait comprendre quel est pour le monteur l’équivalent de l’hexis corporelle du danseur et savoir comment l’identifier.

Sylvain Roumette Justement, on peut penser à des questions de rythmes.

Dominique Le Vaguerèse Pour reprendre la question de la signature du monteur, je voudrais juste l’illustrer d’un exemple. Dans un livre récent, une monteuse, Helen Van Doguen, explique qu’elle est l’auteur de tous les films de Robert Flaherty. Nous sommes là dans un cas d’illusion narcissique où il n’existe qu’un créateur, le monteur.

Gérard Chouchan, réalisateur Je voudrais dire simplement quelque chose à propos des 120 heures de rushes, le serpent de mer des 120 heures de rushes. Qu’il y ait 120, 1200 ou 12 heures de rushes, je crois que, ou bien cela a été tourné n’importe comment, sans point de vue, c’est-à-dire sans réalisateur finalement, ou bien le réalisateur – même à son insu, cela peut arriver – sait où il veut en venir. De toute façon, on peut se poser la question : faut-il tourner 120 heures de rushes ? Je signale tout de même que cette hémorragie est arrivée avec la vidéo. Moi je fais partie des dinosaures qui ont tourné à l’époque de Jurassic Park quand la vidéo n’existait pas vraiment encore. On nous comptait la pellicule. Donc on ne pouvait pas tourner 120 heures pour un documentaire. Ceci dit, je pense que le réalisateur qui a tourné 120 heures de rushes a une petite idée dans la tête. S’il n’a pas une petite idée dans la tête, il faut peut-être qu’il s’en aille… et à ce moment-là on confie le film à un monteur, c’est déjà arrivé et on lui dit “démerde-toi, il faut qu’avec ça, tu fasses un film”. Mais en principe, un réalisateur lorsqu’il tourne doit savoir pourquoi il a mis sa caméra et pourquoi il enregistre. Il y a un mot que l’on a peu prononcé ce soir, c’est le mot sens. Est-ce qu’on est d’accord sur l’importance du sens ? Au cours du montage, quand on met deux images ensemble ou quand on choisit la place d’une séquence, avec le monteur, on s’interroge sur le sens. On est d’accord ou pas, il y a des conflits, il y a des discussions. Avec 120 heures de rushes, ou bien c’est incohérent ou bien s’il y a eu une cohérence au tournage, alors au montage, dans la souffrance, dans la douleur, il faut faire des choix et il faut couper. Il y a des réalisateurs pour qui c’est tellement insupportable qu’ils ne peuvent pas finir le film. Le rôle du réalisateur, c’est quand même d’avoir un point de vue. Et je pense que le rôle du monteur ou de la monteuse, c’est d’entrer et d’aider à faire le film qui est potentiel, virtuel, qui se trouve là. Mais 120 heures de rushes, c’est sans doute souvent trop. Je connais des gens qui tournent comme cela, ils disent “je m’emmerde beaucoup au tournage parce que je tourne 8 heures par jour et après on verra bien”. Cela donne 8 heures de rushes. Ils laissent tourner. Je pense qu’il faut quand même une hypothèse de travail au départ.

Camille Cotte Heureusement que tout le monde n’est pas aussi radical que vous, parce que ce ne serait vraiment pas rigolo le montage. Vous êtes un peu radical. Moi j’ai déjà travaillé sur des très bons films en documentaire, par exemple avec Depardon, et je peux vous assurer qu’il ne sait pas exactement ce qu’il veut faire avec toutes les images qu’il a tournées. J’ai fait 10 films avec lui donc quand même je sais un peu de quoi je parle.

Gérard Chouchan Vous ne m’avez pas compris

Camille Cotte Non je ne vous comprends pas quand vous dites “un réalisateur doit savoir ce qu’il veut”. Moi j’ai déjà travaillé avec des réalisateurs qui doutaient, qui avaient envie de raconter des choses et c’était merveilleux de travailler avec eux.

Gérard Chouchan Madame, vous avez travaillé avec Depardon, c’est très bien mais quand on voit ses films à l’arrivée, ils ont l’air très construits et le sens s’installe très fort. Je vais vous donner un tout petit exemple. Depardon a fait un film sur l’Afrique, il a rencontré Mandela, il lui a dit “vous n’allez pas parler”, il a laissé sa caméra sur Mandela en plan fixe, muet, pendant une minute et demie. Vous l’avez vu ce plan, sans doute. Il ne s’est pas fait par hasard, même si on ne sait pas toujours ce qu’on fait. Il n’y a pas un story-board dans un documentaire, vous le savez bien. Hitchcock, lui, faisait un story-board, il disait “mon film, démerdez-vous, vous pouvez le tourner sans moi”. Depardon c’est différent mais je pense qu’à l’intérieur de lui-même, il a une petite boussole qui lui fait choisir ce qu’il tourne. Il va tourner beaucoup et à l’arrivée le film aura du sens. Je ne pense pas être radical dans ce que je dis.

Benoit Alavoine, chef monteur Je voudrais rebondir sur l’idée qui a été émise tout à l’heure autour de la danse. Gérard Mauger disait que le danseur est l’interprète du chorégraphe. Par association d’idées, je dirais aussi que le monteur est l’interprète du réalisateur, au sens où il interprète son rêve. Et je pense qu’une des dimensions intéressantes dans le montage, c’est d’essayer de parler la même langue que le réalisateur. On faisait la différence, tout à l’heure, entre documentaires, fictions, magazines, journaux télévisés, je pense que là, il y a aussi des notions de grammaire qui sont différentes. Pas seulement à cause du genre mais aussi du fait des conditions de diffusion ou des pressions subies. Il y a des cahiers des charges assez précis auxquels on doit se conformer. On doit de plus en plus se confronter aux pressions dictées par le producteur et par le diffuseur.

Lise Beaulieu Je voudrais dire qu’ici, ce soir, on parle de choses très idéales, on parle de films, avec des réalisateurs et des monteurs qui montent des films formidables, qui se posent des questions formidables mais qu’aujourd’hui les chaînes de télévision dictent de plus en plus le montage des films. Donc, ça relativise l’apport idéal du monteur… Je trouve qu’en ce moment le montage disparaît et les réalisateurs disparaissent avec. Alors je ne sais pas qui a disparu le premier, je ne sais pas si ce sont les réalisateurs qui ont disparu et que donc les monteurs disparaissent aussi, ou si ce sont les chaînes de télévision qui ont tué les réalisateurs . En tout cas moi, ce que je vois en ce moment en documentaire, c’est que tout est formaté, et dirigé par les diffuseurs. Alors toutes ces discussions idéales dans la salle de montage n’ont souvent plus lieu parce qu’il y a une loi de la chaîne qui a un public à nourrir. Les diffuseurs viennent nous dire que ce qu’on monte ne sera pas compris par la ménagère de moins de 50 ans ou de plus de 50 ans ou par je ne sais quelle ménagère, et si on leur demande “et vous vous comprenez ? ”, ils répondent oui. Alors on rétorque “et alors, elle n’est pas plus conne que vous la ménagère”. Donc j’ai l’impression que ce soir on parle d’une situation idéale mais que dans les faits on est en train vraiment de se casser la gueule. Godard avait dit que Pompidou mettait la France en scène, je crois que maintenant ce sont les chaînes de télé qui font le montage, qui font le montage de leurs merdes qui passent à longueur d’antenne et que ce joli couple idéal qui discute, qui s’engueule et tout ça ,c’est bien gentil mais ça n’existe plus beaucoup.

Anita Perez Ça existe encore un peu… Tout à l’heure, Thierry disait que le montage se situe à la fin du processus de fabrication du film. C’est la dernière étape. La salle de montage abrite ce huis-clos qui se joue entre le réalisateur, le monteur et le film. C’est un lieu où le dialogue, l’échange dont on a parlé ce soir, existe. Il faut que cela continue parce qu’il s’agit du dernier rempart du film, du sens du film. C’est un lieu de résistance où le monteur et le réalisateur doivent affronter les pressions de plus en plus asphyxiantes des financiers du film. La salle de montage, c’est là que se jouent toutes ces pressions. Les outils ont changé, les manipulations de l’ordinateur se font en quelques secondes et finalement ces outils permettent aux diffuseurs d’imposer leurs ordres, leurs pensées. La résistance est plus difficile. Ces intrusions intempestives, nous les vivons aux premières loges mais hélas, le couple réalisateur / monteur est bien seul, car personne n’a parlé de la grande absence des producteurs, quelquefois même du néant devant lequel on se trouve puisque les producteurs devraient être avec nous, défendre le film, le supporter, le porter, jusqu’au bout. Il est vrai que tout ce dont on a parlé est peut-être idéal mais c’est cela qui devrait nourrir et continuer à nourrir cette possibilité que la salle de montage reste un pôle de résistance, de résistance du film tout simplement. C’est vrai que ce sont des conditions idéales, mais moi je ne les ai pas encore enterrées. J’espère qu’elles ne seront pas enterrées immédiatement.

Marie Castro Je suis d’accord, il faut essayer de maintenir ces conditions idéales. Mais je trouve que dans ce débat ce soir, même si on parle de cet idéal, de tout ce qu’on aime dans ce travail, on ne peut pas nier que la majeure partie des gens qui travaillent dans ce métier et qui ont sûrement autant d’envies, de rêves, et de désirs que nous, ne peuvent plus du tout les vivre. Ça c’est la réalité. Elle existe, elle est monstrueuse et c’est de pire en pire. Maintenant il n’y a plus de rêves. Les producteurs ne lisent plus un scénario. On prend n’importe quel réalisateur, même s’il ne sait pas tourner, et résultat, on vire des monteurs sous prétexte qu’ils ne sauraient pas monter. Pourquoi ? Parce qu’un producteur n’a pas su lire et qu’un réalisateur n’a pas su tourner. Il faut savoir que ces cas sont de plus en plus fréquents. C’est scandaleux. Alors effectivement il faut se battre pour que le montage demeure et qu’on ait tous envie de continuer à faire ce métier comme on a envie de le faire.

Dominique Barbier Moi, je veux aller dans le même sens parce qu’évidemment je subis les mêmes pressions. C’est pourquoi le débat de ce soir est important. Je pense qu’il faut vraiment défendre le couple réalisateur / monteur, d’autant plus qu’il y a aussi des cas où le monteur ou la monteuse est pris en otage par la production ou le diffuseur. En fait on essaye de faire pression sur le monteur pour rendre le réalisateur un peu plus “réaliste”, enfin plus “raisonnable”… Moi cela m’est arrivé plusieurs fois, et je trouve que dans ces cas-là, il faut savoir quel est son camp.

Anita Perez Je sais qu’on va bientôt terminer ce débat mais j’aurais bien voulu poser une question aux réalisateurs qui sont ici. On a tous parlé des pressions que l’on subissait mais actuellement il y a aussi une situation nouvelle : dès que ça ne va plus, en fiction comme en documentaire, le producteur incite le réalisateur à changer de monteur, on pourrait dire de monture, puisque la monture est usée paraît-il et que le film ne va pas. Sur certains films on va jusqu’à essayer 3 ou 4 montures ! En documentaire, la monture peut être fournie, ou en tout cas conseillée, recommandée par le diffuseur. Donc il s’agirait de savoir si on a tous envie que le libre choix du couple monteur / réalisateur continue à exister, si nous pensons tous que c’est un élément primordial. C’est pourquoi j’aimerais demander aux réalisateurs s’il leur arrive d’aborder entre eux cette question et de discuter de cette obligation de changer de monteur / monture qui peut leur être faite.

Sylvain Roumette Moi je n’ai jamais été dans cette situation. Je sais ce que je dirais mais cela ne m’est jamais arrivé. Peut-être que cette situation n’est pas si fréquente. Mais je pense qu’il faut insister sur l’importance de la solidarité entre le réalisateur et le monteur. Tout à l’heure on a fait semblant de croire que c’était effectivement avec ce tête à tête du monteur et du réalisateur que se termine le film. Cela n’est pas vrai. Il y a bien des gens qui passent dans les salles de montage. On sait que défilent tous les partenaires de la production, les producteurs en tête et en dernier lieu le diffuseur puisque c’est effectivement le diffuseur qui a le vrai pouvoir. Il est évident que le producteur a vu son rôle complètement écrasé. Aujourd’hui, on peut dire qu’il n’y a pratiquement plus de producteurs qui jouent leur rôle et que le réalisateur a été le premier à être éjecté, avant même les monteurs. On a encore besoin des monteurs mais les réalisateurs on sait déjà s’en passer. Et dans le meilleur des cas, le réalisateur est devenu une sorte de façonnier, plus ou moins récalcitrant mais quand même façonnier, à qui on explique ce qu’il doit faire et à qui on remet, souvent, en cours de visionnage, une liste de suggestions faites par les uns ou par les autres, sur les coupes à faire, les time-code de ceci, les time-code de cela. Cela arrive très souvent.

Anita Perez On va devoir se quitter bientôt, peut-être que nos témoins ont envie d’ajouter un dernier mot ?

Dominique Le Vaguerèse J’ai été un témoin très intéressé par ce débat. Les questions qui ont été posées sur l’avenir du métier de monteur, ses inquiétudes, sa résistance aux pressions et la menace de disparition ne sont pas éloignées de celles que peut se poser un psychanalyste.

Gérard Mauger Un mot pour dire que j’ai trouvé ce débat tout à fait intéressant mais que ce n’est pas celui auquel je m’attendais. Le titre était la part du montage, la place du monteur. Je l’avais compris comme la mise en rapport des rétributions du monteur – rétributions financières et symboliques – et de sa contribution spécifique. Or on a beaucoup parlé des contributions des monteurs – cela a été le thème principal du débat de ce soir – mais elles n’ont pas été mises en rapport avec la question des rétributions de ces contributions : la question de la justice ou de la justesse de ces rétributions par rapport aux contributions n’a jamais été abordée…

Jacques Blociszewski Quelqu’un voudrait-il dire un mot, pour terminer, sur les perspectives pour le montage ?

Anita Perez Les perspectives du montage sont devant nous ! Ce débat a été une première séquence. C’est un premier échange qui a été riche mais il faudrait encore approfondir notre réflexion. A suivre et à continuer donc…